La possibilité d'une, il...

Publié le par Hugo

Il savait que rien ne serait plus comme avant, qu’il en était terminé des grands moments de vacances où tout était oublié pour partir à deux vers des univers inconnus, au pied d’océans et de mers complices, cachés derrière de longues dunes, corps alanguis offerts au soleil, et toutes ces îles au nom qu’il aimait déformer (comme toujours), ile dorée, ile d’ex, ile d’olés ronds, ile de noire moitié, île de bancs d'or, toutes ces iles conquises puis perdues.

 Il était en vacances depuis deux semaines maintenant, rivé à son petit nid, dans sa nouvelle ville, le soleil était bien là mais le vent glacial empêchait de profiter des espaces verts et des rives des nombreuses rivières et lacs à proximité de la cité des rois d’Anjou. Alors depuis plusieurs jours, il avait fait un projet celui d’aller déjeuner dans un restaurant de poissons qu’il avait repéré dans son quartier, de l’extérieur le restaurant ne payait pas de mine, sa façade était d’un sombre peu engageant, de plus les menus affichaient des prix dissuasifs pour une homme de sa modeste condition, mais après tout, il n’avait pas engagé de frais pour un quelconque voyage ou séjour, et puis découvrir de nouvelles saveurs valait bien un petit sacrifice et pourrait faire passer un moment agréable.

Le même jour, il se rendit au salon de coiffure, et remit sa tête entre les mains de sa charmante coiffeuse habituelle, hélas ce ne fut pas elle qui lui fit son shampoing et il n’eut pas droit à ses massages certes professionnels mais dont la mise en œuvre ne pouvait cacher la douceur des mains ni la force du fluide dissipé, une autre dame fort jolie aussi se chargea de la prestation (c’est comme ça qu’il faut dire), dans le salon trois coiffeuses exercent, et en fait chacune dans son genre est très jolie. Après ce shampoing somme toute agréable, son habituelle coiffeuse lui proposa de s’asseoir et de lui couper les cheveux selon ses désidérata, elle aimait lui donner des conseils mais suivait malgré tout sa volonté, respectant le dessin naturel qu’il lui indiquait, elle lui disait (elle pensait que malgré son âge) il avait encore une bonne implantation, épaisse et facile à coiffer. Gainsbourg aurait aimé, lui aussi, cette coiffeuse qui a un prénom dont il a fait une chanson à la rythmique très phonétique où les lettres du fameux prénom s’entrechoquent malicieusement.

Le passage chez le coiffeur fut bref et l’heure du repas approchant, il décida de poursuivre ce bon moment par celui dont il avait fait projet ce jour-là, et se dirigea vers le restaurant tout proche.

Une fois la porte poussée il eut l’heureuse surprise de constater que la salle était beaucoup plus lumineuse que  l’on ne pouvait l’imaginer de l’extérieur, le mobilier et la décoration était néomoderne, les lustres ressemblaient à de gros morceaux de papier  froissé. Sur  les murs des sortes de bas reliefs contemporains en bois sombre, d’un dépouillement comme on en remarque dans l’art africain, si la salle comportait une quinzaine de tables, seules deux d’entre elles étaient occupées, l’une par deux très jeunes hommes et l’autre par un couple d’un âge mais surement encore en activité accompagné d’un homme un peu plus jeune, à en juger par leurs vêtements et leurs allures très figées il n’avaient rien de prolétaires en goguette.

Resto Une Ile      Resto Une Ile (2)

 

Une jeune femme un peu maladive avec des lunettes à verre épais lui proposa de choisir sa table, il s’assit dans le coin le plus éloigné de la porte, ce qui lui  conférait une vue très large et stratégique sur l’ensemble de la salle. Bientôt une femme d’une cinquantaine vint vers lui et sans rien attendre déclina les possibilités offertes pour l’entrée et le plat du jour.  Mi-vexé, mi-amusé, il l’arrêta dans son emballement suspect, certes il n’avait pas de cravate mais il se trouvait de « bon aloi », il lui dit qu’il désirait  le menu le plus copieux, elle lui énonça les variantes, il fit un choix de découverte pour le premier plat en commandant l’ormeau poêlé, dont elle lui annonça que pour le préparer, il fallait taper dessus pour « l’attendrir » (drôles de mœurs qui expliquaient sans doute les sortes de bruits de marteau venant de la cuisine dont en fait il était tout  proche), puis il se recommanda le demi-homard en coque (il en rêvait depuis qu’il avait lu la carte quelques jours avant en repérant les lieux), par la suite il prit un turbot à la livèche  (ou ache des montagnes), le tout arrosé de deux verres de vin blanc, pour débuter un savennières plutôt sec  puis il poursuivit avec un anjou blanc plus fruité, deux verres feraient l’affaire, et d’ailleurs il en réserva pour accompagner le plateau de fromages, dans lequel il  fit un choix assez large mais en demandant de petites parts de chaque, tout gouter, tout apprécier, voilà un bon leitmotiv en général…..J’oubliais de préciser que pour démarrer son repas il lui avait été servi successivement deux entrées très fines présentées sous le nom générique d’amuse-bouche, très agréable jeu ma foi.

Puis vint le moment du dessert  des deux gourmandises l’une avec de petits morceaux de fruits tels ananas, mangue, enrobés dans une mousse très légère, l’autre  assortiment de chocolats fondants et croquants avec une fine couche de nougatine caramélisée.

Quel voyage culinaire, quelle possibilité d’une île, puisque tel est le nom du restaurant, Une Ile.

Je ne manque pas  de vous écrire l’épitaphe de Michel Houellebecq qui figure dans les toilettes du restaurant (toilettes qui soit dit en passant font l’objet d’une décoration exceptionnelle qui vous fait totalement oublier leur  réelle destination).

« Et l’amour où tout est facile ,

Où tout est toujours dans l’instant,

 Il existe au milieu du temps,

La possibilité d’une île. »

                                                                                                                                                           

                                             Resto Une Ile (4)

Publié dans les joies du quotidien

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