Ils sont partis

Publié le par Hugo

Il est parti sans prévenir, plus exactement il est parti sans qu’on me prévienne, je savais qu’il n’était pas très bien, que ses os usés se rompaient les uns après les autres, et qu’il avait du accepter ce qu’il redoutait le plus, se retrouver dans un lit à l’hôpital de cette petite préfecture du cœur de la France, là où ses parents avaient trouvés refuge après qu’ils aient du quitter leur pays d’origine l’Espagne mais surtout leur province la Catalogne, à la fin des années 30, lui avait alors 17ans.

Tout cela il m’en parlait souvent et m’avait même fait l’honneur de traduire en français ses mémoires  écrites d’une main si difficile à déchiffrer, pour devenir par la suite sous la plume d’un journaliste local un ouvrage autobiographique. Il me parlait aussi du séjour que lui et sa famille s’étaient vu imposer dans des camps de fortune installés sur le littoral à St Cyprien, il me parlait aussi des premiers mépris et humiliations qu’il avait du subir lorsqu’il était devenu le petit espingouin, servile et corvéable à merci, pour certains français libres comme des renard libres dans une France libre encore préservée plus pour longtemps du joug nazi, et puis il me parlait surtout de ces autres français qui avaient su lui redonner confiance et dignité, et avec qui il s’était engagé pour délivrer, notre pays, notre continent du fascisme qu’il avait déjà du fuir. Notre pays dans lequel il s’était mis à croire si sincèrement.

Puis les années avaient passé et il avait fondé une famille, était devenu un de ses anonymes, pour la plupart immigrés qui avaient reconstruit notre bienheureux pays des années 60, lui ouvrier des travaux publics. 1968 l’avait rappelé à ses convictions et il s’était remis à militer, à agir pour un monde toujours meilleur.  Syndicaliste actif à la CFDT, il agissait aussi au sein de différentes associations puis dans la fin des années 70, il adhéra au Parti Socialiste et fut l’un des premiers membres du nouveau  Conseil Municipal Castelroussin avec comme maire feu Jean Yves Gateaud (un homme droit et sans concession), dont le tempérament taciturne et timide devait par la suite causer la perte.

Quand je le rencontrais pour la première fois au début des années 90 il était déjà bien au-delà des 60 ans mais il avait encore toutes ses qualités intellectuelles et une énergie et une force impressionnantes, je ne sais si c’est le fait qu’il aurait pu être mon père et sans doute le mentor tant espéré mais une grande amitié devait naitre entre nous, et nous partagions tant d’éléments communs, et lui qui n’avait pas eu de fils, me rendait au centuple toutes mes intentions, mais notre communion était transcendée car nous partagions fortement une passion commune, le football , lui et moi savions de quoi nous parlions car nous avions longtemps pratiqué ce sport et à des niveaux intéressants même si ce n’était pas l’élite, cela  nous permettait de ressentir et de vivre de grands moments, dans les tribunes mais aussi avec l’encadrement du club local surtout lorsque celui-ci parvint à monter en Ligue 1, hélas seulement pour une saison.

 Il était par ailleurs membre du Conseil d’Administration du Club, la Berri c’était sa Chérie (comme disait niaisement le slogan de l’époque), combien de soirées avons-nous partagées ensemble, et pas seulement les matches mais aussi les afters, souvent bien tristes, car les défaites se succédaient, point d’orgue cependant quelques années plus tard quand  en septembre 2004 , Châteauroux finaliste de la Coupe de France (battue 1-0 par PSG et surtout Pauletta) fut opposé en Coupe de l’UEFA au FC Bruges avec une élimination prévisible à la clé après une humiliation à l’aller dans la Venise du Nord, mais Châteauroux pour une unique fois sans doute était apparue dans les palmarès européens.

Mais le football pour lui c’était d’abord le Barça et ses origines catalanes n’y étaient évidemment pas pour rien, il avait encore de la famille en Catalogne et en particulier plusieurs étaient depuis des lustres socios du club Blaugrana.  Un jour je lui montrais une photo de mon fils posant fièrement avec un maillot du FC Barcelone, mon fils est un vrai supporter de ce club, et ses derniers engagements personnels en sont un témoignage inconscient de plus, j’avais touché au plus profond de son cœur, et nous décidâmes de faire ensemble le voyage en terre catalane pour assister à une rencontre dans le fameux Camp Nou temple de ce club exceptionnel.

Mais mon histoire personnelle en décida autrement et m’éloigna sans doute définitivement des terres berrichonnes, nos relations ne furent maintenues que grâce au téléphone et quelques rares écrits que je lui adressais.

Il est parti quelques semaines avant mon propre père, un symbole fort, peut-être trop fort , pour moi qui n’est eu de cesse de communiquer avec celui qui fut mon géniteur mais qui s’était entouré depuis trop longtemps dans une carapace terrible, moi qui n’est connu qu’un seul de mes quatre grands parents et encore seulement aux vacances d’été où nous séjournions en terre bretonne et où mon grand finissait de démolir sa grande carcasse de gentleman dans des moissons où lui l’ouvrier agricole montrait toute son énergie et son savoir-faire, lui qui mourut dans l’année qui suivit sa retraite.

Lui le Catalan il est parti à quelques jours du sacre en Coupe du Monde de Football  de la Catalogne contrainte de se travestir en infante d’Espagne.

Lui dont je viens d’apprendre seulement le décès et ce quelques jours après avoir partagé avec un jeune ami la retransmission d’un classico de Liga où le Barça a humilié les stars venues du monde entier du Real de Madrid , qui n’avait rien de royal , j’attribue sur ce que j’ai vu l’essentiel de la victoire 5-0 à l’amour vrai du maillot des barcelonais, face à un conglomérat financier mais dépourvu d’attachement, ce n’est surement pas l’avis de mon jeune ami, supporter ce soir là de madrilènes amenés à jouer les Précieuses Ridicules, mais je sais qu’il ne m’en veut pas et je n’ai aucune fierté particulière à lui rappler ce résultat, la roue tournera et il a la jeunesse pour lui et pas uniquement.

Il est parti Ramon (pour le Berry et pour la France il est parti Raymond ), il est parti Joseph, ils sont partis mais je les sens près de moi, si différents, mais si proches, si humainement miens.

 

Publié dans foule sentimentale

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article